Poésie sur Creuse (final)
09,10,11,12 mai
Guéret, Savennes, Saint-Christophe,
le Moutier d'Ahun, Sardent
Festival pliant en poésie et chanson
24 mai 2013
"De cette feuille
dite vierge
que sortira-t-il
Un bouton de seringa
ou une fleur carnivore ?
C'est moi qui tremble"
Abdellatif Laâbi, "Poèmes périssables"
23 mai 2013
Vécu dans un poème
Vécu dans un poème
Vu des gens qui écrivaient
Vu un homme qui contait
Entendu les chanteurs
Trouvé le monde derrière les grilles
Reconnu la chanson
Ecouté les femmes
Ecouté les savants
Marché dans le noir parmi les arbres
Goûté cette guitare
Tenté une palabre
Partagé un repas
Reconnu le poète
Refermé le livre
Oublié le poème
Retrouvé le monde édenté
A n’y rien jamais comprendre
A n’y rien jamais comprendre
Jamais comprendre
Jean-Paul Raffel, "Bordures du Champ secret"
22 mai 2013
Profondeur
Avec son autorisation, je reproduis ces extraits du message d'un ami :
Cher Alan,
Je rentre du Festival Pliant. Ce fut un moment extraordinaire, au sens littéral du terme. Nous y avons lu de nombreux poèmes [...]. Cette lecture s’est faite en divers endroits, notamment en prison et en forêt. Émotions d’une rare intensité. Je me rappellerai toute ma vie la rencontre avec les détenus de la maison d’arrêt de Guéret, leurs textes, lus par eux-mêmes ou par des visiteurs (nous avons chanté, aussi) [...] ; le parcours poétique, à la tombée de la nuit, dans la forêt de Chabrières [...] ; le banquet déclamé, en présence d’Abdellatif Laâbi, qui nous a ensuite tenus sous le charme de sa voix et de ses vers libres, profonds, stimulants. Nous étions accueillis par l’espace culturel de la Métive, nom qui signifie la moisson, et vous auriez aimé, cher Alan, cette fête, non pas seulement célébration, mais engagement. Ce fut politique. Le Champ secret montrait là ce qu’il est essentiellement, un lieu où la différence se pense et se vit loin de tout narcissisme et de tout communautarisme. Ce qui nous réunissait, c’était une foi raisonnée en l’homme, le refus des dogmes et des modes, et d’un modèle économique délétère ; la volonté de rester autant que possible, et jusqu’à notre dernier souffle, lucides, et maîtres de notre avenir, sans rien abdiquer de notre responsabilité ; l’amour de la vie et de ses plaisirs, à commencer par celui que procure l’harmonie.
[...]
Avec tous mes encouragements pour votre nouvelle entreprise d’écriture, et dans l’impatience de vous lire,
Fraternellement,
Éric Ardouin
Eric Ardouin, cité chez "Alan Bathurst"
21 mai 2013
Historiette
Je peux finir le chapitre ?
Je voudrais tant savoir
D’Artagnan, Milady
Et le secret d’Athos
Encore une page s’il te plaît
Rien qu’une ligne et j’éteins
Pourquoi devrait-il quitter
Cette histoire plus vraie que la vraie
D’amis plus sûrs que les siens
D’une vie plus claire que la vie
Sous l’abri frêle des draps
Lampe de poche à la main
L’enfant résiste, les yeux las
Il faudra bien plonger pourtant
Froid peur noir je ne sais pas
Les monstres de la nuit l’attendent
Un jour, longtemps après
Quand tout sera fini
Ou presque
Le souffle court
Il suppliera toujours
Un moment s’il vous plaît
Rien qu’une heure
Pourquoi doit-il quitter
Les amis changeants qui enchantent sa vie
Sa vie si claire en cet instant
Et l’histoire bigarrée qui s’est par lui écrite
Si vraie, trop vite
S’il vous plaît
Encore un paragraphe
Rien qu’un mot un regard
Une bouffée
Une seconde
Alice Calder, "Bordures du Champ secret"
20 mai 2013
Clair de lune
Apesanteur
Cimes mêlées
L’air est un fluide je nage
Sentiers de plénitude
Voyageurs du large
Silhouettes à l’encontre du familier
Se perdent
Réapparaissent
Toits indistincts
Clairs et blancs
Et tous ces rires d’enfants
S’égaillant au bercail
Leur amour d’eau-vive
Par les chemins de traverse
Cimes mêlées
Jeux à l’orée des mirages
Apesanteur.
Camille Pioz, "Bordures du Champ secret"
19 mai 2013
La fumée
Assise au bord de l’eau
elle fronce les sourcils
quelque chose en face
a bougé
Comme les vagues
des souvenirs viennent lui flairer les pieds
des bons
des moins bons
Loin devant elle
une fumée monte des arbres
Tout près d’elle
des oiseaux s’envolent
Un jour
dans ce qu’il faudra de lunes
elle aussi traversera
Pour l’instant
le vent qui se lève
emporte ses larmes
Alan Bathurst, "Bordures du Champ secret"
18 mai 2013
Rien ne révèle ce que je pense. Ni la surface aveugle de l’écran, ni le cliquetis obsédant des touches du clavier. Encore moins. Je pense entre les lignes comme vous ne soupçonnez pas, vous, autant que vous êtes à lire mes façons, à sonder mes humeurs, à donner la leçon. Sous un toit loin d’ici, dans une ville que je ne connais pas encore… une fenêtre ouverte.
Rien ne révèle ce que je suis. Ni l’encre sympathique de mon entrain, ni le verbe acéré de ma mauvaise foi. Encore moins. Je suis sur des lisières qu’ils ne fréquentent pas, eux, autant qu’ils sont à tenir le cordeau, à longer la rigole, à flatter les corbeaux. Au creux d’un chemin creux que je ne connais pas encore, dans une trouée du feuillage… un reflet soudain.
Rien ne révèle où je vais. Ni l’air que je déplace, ni la trace fuyante surlignée par le curseur de la machine. Encore moins. Je vais au plaisir du hasard comme nous le faisons tous, nous, autant que nous sommes à brûler les deux bouts, à flairer les occases, à survivre debout. Au bord de la falaise du ciel que je ne connais pas encore… une étoile hésite.
Jean Pauly, "Bordures du Champ secret"
17 mai 2013
Les plis
Sur les bords de la Glane, les draps tachés, les draps brûlés, les draps souillés de haine,
deux femmes en plein soleil, soigneusement, replient le temps.
Deux femmes suppliciées replient le temps
Chaque pli, chaque pile, chaque passant
Chaque pas sur la ligne du tram à Oradour
Replie le temps
Un oiseau dans les ruines, un volet au vent
Ferment le ban
Les doigts des murs dressés vers le ciel
Les maisons crevées, les maisons exorbitées guettent
Sur la place d’Oradour où le vide prend source
Aucun écho, les rires, les jeux, les gens,
S’imaginent et disparaissent
Sur la place où rien ne s’entend, j’écoute la vie
J’écoute l’effroi
Tour à tour surgissent les chants,
La cour, l’école de filles
Tour à tour, la vie, l’effroi,
les rires les chants, les jours,
les loups les coups, les flammes, les innocents
Soigneusement, deux femmes sous le soleil, replient le temps
Derrière les murs d’Oradour
Deux femmes massacrées, deux femmes seules replient le temps
Et bercent leur enfant
Toujours elles recommencent, toujours elles plient
Rien ne s’oublie
Derrière les murs d’Oradour
Au loin, qui se rapprochent
De Hongrie, de Serbie, aux berceaux d’Europe
J’entends claquer les bottes
J’entends roter la haine
Plus elle se renforce, plus elle crie
Hier soir au journal, mécanique et scandée
La voix répète : "Autre, haine, Autre, haine!"
Le journaliste tente : « vous l’avez-déjà dit »
Mais elle bégaie son histoire
Sans s’occuper du bonhomme
Comme toujours
Toujours la même
Passant, souviens-toi
Tandis qu'elle vocifère.
Jean-Paul Raffel, "Bordures du Champ secret"
16 mai 2013
L'arbre du temps
Après cette fenêtre aux barreaux grillagés,
Survit un petit arbre pensif,solitaire,
Aux racines qui giclent tout au fond de la terre
De la maison d'arrêt. Là, sont les encagés.
Si loin sont la femme et l'enfant.
C'est l'arbre balancier de ce temps détenu,
Ses bourgeons puis ses feuilles, ses fleurs et la jonchée.
Un an dit le tilleul de ces quatre battées.
Et mon coeur, lui aussi, est comme un arbre nu.
Si près sont la femme et l'enfant.
Ce haut mur de briques a découpé ma vie
Et enclos mes erreurs, mon présent de chagrin,
La solitude à quatre et l'avenir lointain.
Derrière, si près, je sais les parfums que j'envie.
Revoir, revoir femme et enfant ?
Dans la cour des pas lents où passe ma vie piètre,
Survit un petit arbre têtu et solitaire.
Comme lui tenir, tenir, être encore et se taire.
Retrouver des poignées aux portes, aux fenêtres.
Revoir d'infinis paysages.
Bernard Stimbre, "Petits ors du temps"