Ceci n'est pas un tableau. La photo est nue, sans effets. Juste le regard qui fouille. (fw)
29 juin 2013
"D'où tiens-tu cette palette
où chaque couleur s'acoquine
à l'insu de l'arc-en-ciel
avec l'indicible ?
Si je dis bleu
je ne dis rien
La teinte est là
mais ce n'est qu'un ingrédient
on dirait obligé
pour faire amende honorable
Et la lumière
dont tu l'asperges du bout des doigts
vient-elle
d'un arrière-pays du soleil
ou d'un coeur étoile
nourri de lucioles
que tu plais à promener
derrière la toile
en plein jour ?
Bleu de toi
déchirant de douceur
semblable à la soif
de la terre
quand elle courtise l'ondée
[...]"
Abdellatif Laâbi, "L'automne promet", Editions de la Différence
28 juin 2013
"Visage et paysage sont silencieux,
et pourtant on y entend dans le lointain,
comme chez Corot qui y vint peindre, une musique.
Tout cela me fait comprendre cette part de beauté,
d'intimité ensevelie dans les choses,
et jusque dans la matière."
Jean Guitton, "vieux pays creusois"
27 juin 2013
Aux couleurs
Pour ne plus oublier les jours
Heureux
Hissez au matin les couleurs des eaux vives
Venez deux amants caresser ce qui reste de nuit
Si la rivière fait rire ses miroirs à danseuses
Pour ne pas oublier les jours
Heureux
Hissez à midi les couleurs des eaux claires
Venez deux amants suivre à la ligne les moires les éclats
Si la rivière fait jouer ses notes du plein soleil
Pour ne rien oublier des jours
Heureux
Hissez encore au soir les couleurs des eaux libres
Venez deux amants goûter le chant du ruisseau
Pour voir aux yeux de l’autre tous les reflets du jour
Et le jour qui s’éteint dans les couleurs de l’eau
Si la rivière entraîne la chanson
Si la chanson emmène les amants
Si les amants enchantent leurs jours
Heureux.
Jean-Paul Raffel, "Dormir la fenêtre ouverte"
26 juin 2013
"Un artiste éminent, qui a découvert aussi le village, et dont le nom se recommande de lui-même, est invité par nous à déjeuner le lendemain sur le rocher, et nous recommençons la partie de pêche et de friture au bord de la Creuse. Il est ravi de la douceur et de la grâce de cette nature. Il fait rapidement des croquis adorables.
Les peintres qui comprennent le vrai sont d’heureux poètes. Ils saisissent tout à la fois, ensemble et détails, et résument en cinq minutes ce que l’écrivain dit en beaucoup de pages, ce que le naturaliste ne pénètre qu’en beaucoup de jours d’observation et de fatigue. Ils s’emparent du caractère des choses, et, sans savoir le nom des arbres et la nature des pierres, ils font le portrait des aspects sentis, portrait pénétrant et intelligent, saisissant et fidèle, sans l’effort des pénibles investigations.
Ils écrivent la vie et traduisent le champ de la nature dans une langue dont les difficultés mystérieuses nous échappent, tant elle paraît claire et facile quand ils la possèdent bien."
George Sand, "Promenades autour d'un village"
25 juin 2013
"[...] Mais le plus grand, c'est Armand Guillaumin. Comme Monet l'a fait de Fresselines, cinq ans plus tôt, Guillaumin fera de Crozant un lieu pictural impressionniste. Le paysage est dépouillé de son pittoresque, trouve une seconde dimension, son éclat ultime, fluide et palpitant comme les eaux de la Sédelle et de la Creuse, ces deux torrents, vibrant comme l'insaisissable lumière creusoise, transparente, capricieuse, imprévisible. Comme Monet, Guillaumin souffrira dans sa chair de l'hiver creusois, toujours à l'affût, cherchant avec obstination à saisir cette lumière fuyante, sauvage, indomptable. Monet ne fut ici qu'un météore. Guillaumin, rude et secret, ressemble à cette terre creusoise. Il a tout son temps. Il va se poser, s'enraciner, certain d'avoir trouvé le paysage de sa peinture. Pendant trente ans, sans jamais se lasser, il posera son chevalet sur "son" sujet. "Qu'il existe un pays aussi beau que Crozant, dira-t-il, c'est possible, mais un plus beau, je ne puis le croire"."
Christian Pirot, "Impressions des bords de Creuse"
"Les peintres de la lumière, en cherchant l'impression, ont démasqué une vallée unique, en symbiose parfaite avec leurs valeurs et leurs désirs. La Creuse leur apparaît comme la démonstration naturelle et incontestable du bien-fondé de leurs recherches, sorte de preuve matérielle de l'exactitude de leur vision. Cette correspondance si étroite entre l'état physique du pays et l'état plastique de leurs tableaux, fait de Crozant un des plus hauts lieux de l'impressionnisme."
Christophe Rameix, "L'Ecole de Crozant", Editions Lucien Souny
24 juin 2013
"Monet bute sur le flux d'un présent fuyant dont son pinceau capte les éclaboussures mais sans l'arraisonner. Le monde est en mouvement, l'inquiétude de Monet témoigne de son angoisse face à la transformation de l'espace. Intuition forte de tous les artistes qui portent un intérêt au passage, à l'altération - les reflets, les miroirs, le monde réfléchi; réfléchissant à notre image, en péril, mutant. L'espace apparaît comme le terrain de juxtaposition de l'identique et de décomposition à l'infini de sa temporalité."
Jean-François Demeure, "Monet en Creuse, Le printemps d'une méthode", Editions Culture & Patrimoine en Limousin